ILS ONT SAUTÉ
« Le poète n’est pas celui qui dit Je n’y suis pour personne
Le poète dit J’y suis pour tout le monde
Ne frappez pas avant d’entrer
Vous êtes déjà là… »
Claude Roy
A Mido , Mirzeta et leur petite fille Mina, expulsés retournés de force en Bosnie.
Ils ont sauté du haut des fenêtres
Des fenêtres de nos maisons
Par peur de nos gendarmes et de nos policiers
Ces gendarmes et ces policiers qui sont les petits enfants
De ceux qui se chargèrent des rafles du Vel d’Hiv…
Ils ont sauté du haut des fenêtres et
Le bruit de leur chute est encore en mon cœur
Et dans le creux de mes oreilles.
Poètes, levons-nous
Il est un temps pour tout comme le dit la Bible
Voici venu le temps du cri de la colère et du poing fermé
Il ne nous suffit plus de chanter la nature et l’amour
Les oiseaux le fleurs et les rires d’enfants
Poètes levons-nous comme l’ont fait avant nous
Neruda Maïakovsky Aragon René Char
Desnos Nazim Hikmet Claude Roy et bien d’autres
Et comme aujourd’hui là-bas Tasmina Nasreen
Condamnée à mort pour la liberté des femmes
Certains m’ont dit
« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde… »
Et moi, après Claude Roy, je rétorque :
« Assoua, mon frère noir qui trime aux coupes des forêts de ton pays
Quatorze heures par jour et sept journées sur sept.
Pour une misère salaire
C’est moi qui jouis depuis longtemps du fruit de ton travail.
Viens,
Ma maison est aussi ta maison.
Li Peng, ma sœur jaune qui trime aux usines textiles
Quatorze heures par jour et sept journées sur sept.
Pour une misère salaire
Et qui dort en dortoirs collectifs
C’est moi qui jouis depuis longtemps du fruit de ton travail
Viens
Ma maison est aussi la tienne
Pedro mon frère indien
Qui trime dans les vergers des caféiers
Tchang, mon frère jaune, dans les usines d’informatique
Fatima, sœur arabe, qui teint les tissus de mes jeans,
Ali, Mano, Hnang…
C’est moi qui jouis depuis longtemps du fruit de vos labeurs
Venez
Ma maison est aussi la vôtre
Quand il y en a pour un
En se serrant un peu il y en aura assez pour dix et peut-être même plus
Plus jamais vous n’aurez à vous cacher
Plus jamais vos enfants n’auront peur
Plus personne ne sautera par la fenêtre
Plus jamais
Et je pourrai chanter en paix de nouveau
La nature et l’amour
Les oiseaux les fleurs et les cheveux de l’aimée
Car la justice est la vraie muse des poètes
Et sans elle les plus beaux textes sont des choses mortes.
Venez
Ne frappez pas avant d’entrer
Vous êtes déjà là.
SAVOIR