Lettre ouverte au prochain pape
Daniel Marguerat
25 Février 2013
Le théologien protestant Daniel Marguerat enjoint le prochain
pape à faire preuve d’ouverture envers les autres religions. Et
même à repenser le célibat des prêtres.
Votre Sainteté,
Vous venez d’être élu par le saint conclave des cardinaux, et la
fumée blanche échappée de la Chapelle Sixtine a annoncé au
monde : habemus papam. Endosser la charge politico-religieuse
la plus lourde au monde inspire un infini respect.
Permettez à un protestant de partager ce respect, et de vous
adresser (au sens propre) ses voeux, c’est-à-dire ses souhaits.
Car l’histoire montre que protestants et catholiques ont des
destins indissolublement liés ; j’y reviendrai.
Vos prédécesseurs ont été un grand intellectuel (Paul VI), un fin
politicien (Jean Paul II), un théologien gardien du dogme
(Benoît XVI). Que serez-vous : un pasteur ? Un organisateur ?
Un spirituel ? Quoi qu’il en soit, un talent de rassembleur est
indispensable à une Eglise catholique tourmentée, comme
jamais elle ne le fut.
Le gel de l’oecuménisme a déçu les millions de fidèles qui
s’étaient engagés dans des projets communs avec les autres
Eglises, et se trouvent aujourd’hui désavoués par de jeunes
prêtres aussi rigides que leur col romain. La théologie de la
libération, qui souleva en Amérique du sud un tel enthousiasme
populaire, est aujourd’hui exsangue ; affirmer «l’option
prioritaire de Dieu pour les pauvres» n’est visiblement plus
d’actualité, ni au Brésil, ni ailleurs. Le scandale des prêtres
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pédophiles a ébranlé la confiance des fidèles dans l’institution,
non seulement à cause de son immoralité, mais aussi parce
qu’elle a dévoilé le persistant silence des évêques devant des
délits qu’ils n’ignoraient pas. Quant à la pénurie de prêtres,
n’insistons pas.
Vous me direz, Saint Père, que le tableau ne doit pas être
noirci. Qu’il faut y ajouter les impressionnants rassemblements
de foules drainés par Jean Paul II. Et que le schisme des
intégristes d’Ecône a failli être réduit. Et que la communauté de
Taizé, grande rassembleuse de jeunes, fait désormais profession
de foi romaine. Il serait certes injuste de ne pas comptabiliser
ces gains au crédit de l’identité catholique. Mais justement,
comment l’identité catholique doit-elle être affirmée
aujourd’hui ?
Jean Paul II, votre brillant prédécesseur auquel on ne
cessera de vous comparer, a appliqué au monde entier la
compréhension polonaise de l’affirmation religieuse : le repli
identitaire. Longtemps soumis à l’hostilité communiste, le
catholicisme polonais a vécu de se replier sur sa croyance
fondamentale et de marquer ses frontières face à un monde
extérieur agressif. A cette stratégie appartenait aussi la
démonstration de force que constituent les rassemblements de
foules. Force est de constater que cette stratégie a payé,
notamment face à un protestantisme au visage flou et à la
diversité déroutante.
Tout resserrement des rangs a cependant un coût, que
l’Eglise catholique paie aujourd’hui au prix fort : les tourments
que j’ai énumérés tout à l’heure, au nombre desquels la fin des
élans oecuméniques inspirés par Paul VI. Or, aussi paradoxal
que cela paraisse, le destin des protestants et celui des
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catholiques romains sont indissolublement liés. Plus encore :
protestantisme et catholicisme ont besoin l’un de l’autre pour
exister. En douteriez-vous ? Je m’explique.
Force et faiblesse du protestantisme et catholicisme sont à
l’inverse l’une de l’autre. La force protestante est de respecter
sa pluralité, mais sa fragilité génétique est une incapacité à
exprimer et mettre en oeuvre son unité. La force du catholicisme
romain réside dans un sentiment d’appartenance qui l’unifie,
mais il ne sait accueillir sa diversité interne, qu’il a tendance à
rejeter. Protestants et catholiques ont donc beaucoup à
apprendre les uns des autres, et seule une fréquentation
régulière et respectueuse permet leur enrichissement réciproque.
Arrivera-t-il, le jour où toutes les Eglises chrétiennes
reconnaîtront qu’elles ont ensemble hérité du Christ ?
Viendra-t-il, ce jour où elles se reconnaîtront partenaires
d’un mouvement religieux appelé «christianisme», sans
qu’aucune ne revendique pour elle seule toute la vérité?
Quand ce jour sera arrivé, et que l’on pensera l’unité du
christianisme en terme de pluralité et non plus d’uniformité,
alors l’annuelle «semaine de prière pour l’unité des chrétiens»
cessera d’être une insipide ritournelle. Car ce jour-là, la prière
de Jésus pour que les siens se reconnaissent unis dans leur
diversité sera enfin montée au coeur des hiérarchies
institutionnelles.
Ceci nous reconduit à la question de l’identité. On vous
demandera d’être ferme. Mais comment dire aujourd’hui
l’identité catholique au sein du christianisme, et plus largement
l’identité chrétienne au sein des religions du monde ?
J’appelle de mes voeux un pape qui allie l’affirmation
identitaire forte à l’esprit d’ouverture. Car n’est-ce pas quitter la
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position de peur que d’exposer une identité ouverte plutôt que
fermée, une identité qui n’exclut pas l’autre mais le respecte,
qui affiche sa différence sans nier la valeur de l’autre ?
Même les partis politiques reconnaissent, au gré de leurs
alliances, qu’ils oeuvrent ensemble au bien commun…
Il faudra aussi en finir un jour avec l’idée que les chrétiens
sont à 100% dans la lumière tandis que les milliards d’adeptes
d’autres religions du monde seraient à 100% dans l’obscurité.
Etre persuadé que sa religion est dans le vrai ne revient pas à
nier aux autres croyances tout accès, fût-il partiel, au divin.
Une urgence vous attend, Saint Père : le monde
économique. Depuis les récentes crises financières, le discours
économique sature les media. Valeur des monnaies, taux de
chômage et croissance du PIB sont devenus les nouveaux
mantras. Le salut passe désormais par la santé financière, et les
gouvernements ne sont plus assignés qu’à cette tâche. Face à ce
discours pesant, le silence des Eglises est assourdissant.
Jean Paul II a eu le mérite de protester contre la
déshumanisation du capitalisme débridé, et d’appeler à une plus
juste répartition des profits. Ces propos sont peu connus, mais il
faut qu’une voix à nouveau s’élève pour rappeler aux acteurs
économiques les valeurs d’humanité, d’équité et de bien-être
social.
Votre Eglise, Saint Père, est fatiguée de se heurter aux
mêmes verrous : la pénurie des prêtres, leur célibat obligatoire
(source de tant de déviances), la mise à l’écart des femmes, une
morale sexuelle d’un autre âge… Le pape qui rendra sa dignité
au célibat, en fera pour les prêtres un choix, et non plus une
contrainte ; il permettra au catholicisme romain de rejoindre la
tradition chrétienne la plus ancienne, adoptée par toutes les
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autres Eglises, qui consacrent au ministère, célibataires et
mariés. Ce retour aux sources restituera du coup à la femme, en
Eglise, sa place et sa dignité.
Ce pape-là, assurément, passera dans l’histoire comme
celui qui aura puisé dans la tradition les impulsions les plus
novatrices.
Serez-vous celui-là ?
Saurez-vous susciter suffisamment la confiance pour insuffler
du souffle à votre institution un peu lasse ?
C’est ce que, du coeur, vous souhaite le protestant que je
suis.
texte transmis par mail par Bernard HEBSTER.
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