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19 avril 2013Bretagne avril 2009 lichens Ouessant

Du stade du miroir à Dieu

 

Le petit enfant de 6 ou 8 mois, regardant un miroir, peut soudain être pris d’une forte agitation. Il vit alors un événement extraordinaire. Il se voit. Il se reconnaît dans l’image qui est là devant lui. Il « sait » que celui que son père ou sa mère appelle de son nom est bien lui. Un singe irait voir s’il y a quelqu’un derrière le miroir. L’enfant ne contourne pas le miroir, mais établit un lien entre l’image et lui-même. Il s’est reconnu. À partir de cet instant, l’enfant va aller à la rencontre de cette personne qu’il a découverte, dont il a maintenant conscience.

Ce moi qui l’habite désormais, l’enfant va chercher à l’affirmer en s’identifiant à des personnes de son entourage qu’il va imiter. Il va chercher à se trouver par identifications successives à chacune de ces personnes qu’il idéalise. Chacune de ces personnes fonctionne à l’image de pelures d’oignon qui s’additionnent les unes aux autres. Il dira « je suis » comme lui, comme elle, en croyant définir son propre être, en croyant dire ainsi qui il est en vérité. C’est un va-et-vient permanent entre deux entités, entre ce qu’il est, ce qu’il idéalise et ce qu’il croit être. Plus l’homme réel se sentira petit et faible, limité et mortel, plus il se posera dans son moi idéal, dans son moi imaginaire, comme tout- puissant, quasi divin. Plus il aura besoin de s’identifier à cette image folle qu’il s’est faite de lui-même, et plus il cherchera à la faire reconnaître par tous.

Cette marche au-devant de soi même est une quête pour savoir qui est celui ou celle que son père ou sa mère appelait par son nom. Qui est l’être caché derrière ce nom qu’il sait être le sien puisqu’il y répond quand on le prononce? Est-ce de celui que rêvaient ses géniteurs ? ou est-ce de lui-même qu’il s’agit en vérité ? « Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l'appel de la vie à elle-même.  » disait le poète Khalil Gibran

S’il est impossible de savoir un jour à quoi correspondait réellement l’idée que les parents se faisaient de l’enfant qu’ils ont attendu quand sa mère en était enceinte, Dieu le savait. En quête de mon moi, de cette personne que je suis, je n’en peux rien dire. Même si je crois pouvoir le faire et l’affirmer en m’identifiant toujours, et de façon inconsciente à tel ou tel modèle, à tel ou tel idéal, comme je le faisais dans mon enfance, me revêtant d’une nouvelle pelure d’oignon empruntée à tel ou tel idéal d’une rencontre fortuite.
Dieu sait qui je suis, qui je suis appelé à devenir. Aller à la rencontre de Dieu, c’est enfin accepter d’être accepté. C’est s’accepter, pour savoir enfin qui je suis.

Dieu était la personne créatrice du sujet que je suis. Il a  une idée de ma personne, de ma personnalité potentielle, idéale, telle qu’elle devrait finir par devenir, par se réaliser, par advenir. C’est en effet quand je me place devant Dieu, devant l’infini, à la quête de ce que l’on peut  dire de moi quand je n’existais pas encore, mais que l’on m’attendait, que par bribe ou d’un seul coup, je découvre qui je suis. Placé devant le Tout autre, dont je ne peux absolument rien dire, je puis enfin savoir qui je suis.

C’est exactement l’expérience que fait Barnabé à la rencontre avec Jésus. Il est aveugle et guette le passage de Jésus. Quand il entend, grâce à la rumeur, que Jésus est là, il l’appelle. Les gens soucieux de ne pas déranger le maître le rabrouent et lui intiment de se taire. Mais il crie encore plus fort : « Jésus, à l’aide ! ». Jésus demande qu’on le laisse venir et lui dit « que veux tu que je fasse pour toi ? ». Barnabé répond : que je recouvre la vue ». Et Jésus le guérit. Et il voit enfin la réalité. Mais Jésus ne lui dit pas «  fais ceci ou fais cela ! ». Il le laisse libre de se déterminer, libre d’assumer sa nouvelle condition. C’est à chaque fois ce qui se produit quand Jésus se laisse interpeller et qu’il va à la rencontre du sujet désemparé. Quand il est remis debout, Jésus le laisse aller trouver de lui-même et imaginer comment il ou elle peut coopérer à la création permanente de Dieu, en sortant de soi pour aller vers l’autre.

Cela se produit plus facilement quand j’obéis à ce que Jacqueline Légaut[1] appelle « la loi de la parole ». C'est-à-dire quand je vais à la rencontre de l’autre, d’une personne, sans tricher, sans me mentir et sans lui mentir. La rencontre avec le Tout autre transite très souvent par l’autre, son visage étant, dit Lévinas, la trace du Tout autre. 

Quelques individus doués d’une grande spiritualité vivent une expérience hors du commun, celle d’une rencontre avec cette réalité du Tout autre. Ils en rendent compte avec leurs mots, en racontant des histoires, en inventant au besoin des mythes pour faire partager cette rencontre avec l’indicible. En empathie parfaite avec la société dans laquelle ils vivent, leurs mots expriment alors ce que tous autour d’eux ressentent intuitivement. Ils deviennent les porte-parole. La Bible en est le résultat.

 A la lecture d’un texte biblique, parfois « le fait scripturaire » se produit. C'est-à-dire que le récit, mythe ou non, récit ou propos rapportés, agit et fait découvrir une bribe de ce que contenait la coquille, l’enveloppe du texte, comme la coquille de la noix enveloppe le cerneau. Le cœur contenu dans le récit est l’expérience spirituelle vécue par les témoins de la rencontre. Je puis alors m’y retrouver, m’en saisir et la faire mienne à mon tour. L’authenticité historique du récit n’a plus d’intérêt. Ce qui m’importe est simplement le sentiment, le ressenti, du vécu spirituel de la rencontre qui elle, est authentique vérité qui demeure par delà le temps.

H. Lehnebach

 

Tag(s) : #Foi
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